Le modèle que propose Oettingen (1996 ; Oettingen & Hagenah, 2005) suppose de clarifier dans un premier temps la conception qu’elle propose de l’expectation et de l’anticipation fantaisiste (free fantasie). Dans les deux cas, la pensée envisage un futur mais de deux manières radicalement différentes. Pour elle, les expectations sont des jugements, des croyances sur la tournure que peuvent prendre les événements ou les comportements dans le futur. Elles sont basées sur l’expérience passée ainsi que sur l’histoire des performances de l’individu. Par contre, les anticipations fantaisistes sont des pensées et des images de futurs événements ou de comportements qui surgissent dans l’esprit d’une personne indépendamment de leurs probabilités réelles d’apparition. Une expectation de compétence positive est donc la croyance qu’une réalisation est faisable. Une anticipation fantaisiste et positive de compétence est constituée par les images d’une compétence future qui surgissent dans l’esprit de l’individu. Les anticipations fantaisistes peuvent donc violer toutes les lois de la physique ordinaire sans que cela les invalident pour autant. Oettingen estime donc à ce titre qu’elles ressemblent à des rêves éveillés.

Dans une série d’expérimentation (Oettingen & al., 2001 ; Oettingen & al., 2002), Oettingen montrent avec différents collaborateurs que les anticipations fantaisistes ne permettent pas à l’individu d’anticiper des obstacles qui ne manquent pas de jalonner le parcours d’une réalisation quelconque.

Le manque de préparation et de planification a donc pour effet de compromettre l’émergence d’une motivation nécessaire et suffisante pour réaliser l’activité qui reste ainsi une pure fantaisie. Les expectations, par contre, en se servant des événements passés pour prédire le futur, permettent à l’individu de s’interroger sur la pertinence d’un investissement qui doit en valoir la peine. Cependant, dans le cadre de l’acquisition de compétence, le fait de se baser ainsi sur le passé ne permet pas de comprendre pourquoi l’individu, lorsqu’il atteint un objectif difficile, va aspirer à des objectifs encore plus ambitieux. Le modèle de la réalisation imaginaire que propose Oettingen tente précisément de répondre à cette question dans le cadre de l’assignation d’objectif. Le modèle de la réalisation imaginaire spécifie trois voies d’assignation d’objectif qui varie en fonction de la manière dont les individus gèrent le futur qu’il désire voir advenir. La première voie est basée sur des représentations mentales d’un avenir « tout en rose » dont tout réalisme même minime n’est nullement pris en compte. Cette voie est celle de « la vie en rose ». La deuxième voie repose sur les aspects négatifs que la réalité rend possible, tout en restant à ce niveau de réflexion. Ces pensées ne peuvent donc être que des ruminations récurrentes car aucune fiction fantaisiste ne vient orienter l’action de l’individu. Cette voie est celle de « l’expectation non fantasmée ». Enfin, la troisième voie peut être envisagée comme un chemin de traverse entre les deux premières. L’utilisation de cette voie implique de contraster mentalement le futur désiré avec les aspects négatifs de la réalité comme le fait de se voir exceller en mathématiques tout en envisageant les pensées distractives qui peuvent gêner le travail en mathématique permettant d’augmenter les capacités de l’apprenant. Cette voie est celle de « l’imaginaire contrasté ».

Dans une étude sur les relations interpersonnelles (Oettingen & al., 2001, expérience 1) réalisée auprès de 136 étudiantes, Oettingen et ses collaborateurs ont pu montrer l’impact de ces différentes voies. L’expérimentation comprenait trois parties.

Dans la première, les participantes devaient lister les problèmes interpersonnels les plus importants qu’elles rencontraient au moment de l’étude (e.g., « mieux comprendre quelqu’un que j’apprécie », « augmenter la qualité de ma relation avec mon partenaire », « mieux comprendre ma mère »). Afin de mesurer l’expectation de succès, les participantes devaient répondre à la question suivante : « Pensez vous que ce problème puisse avoir une fin heureuse ? ». La réponse devait être reportée sur une échelle en sept points allant de 1 (très improbable) jusqu’à 7 (très probable). Ensuite, les participantes devaient indiquer la valeur incitative qu’avait pour eux la résolution du problème. Pour cela, elles devaient répondre à la question suivante : « Estimez-vous qu’il est important que ce problème ait une fin heureuse ? ». Là encore, les sujets devaient utiliser une échelle en sept points pour répondre.

La deuxième partie de l’expérience était consacrée également à établir deux autres listes. Dans la première, l’expérimentateur demandait aux participantes de citer au moins quatre aspects positifs qui étaient liés à un « happy end » (e.g. « avoir plus de temps l’un pour l’autre », « se sentir aimé »). À l’inverse, dans la deuxième, il s’agissait de citer quatre aspects négatifs (e.g. « rester timide », « travailler encore davantage »).

Durant la troisième phase de l’expérience, les participantes étaient réparties en trois groupes. Toutes les participantes commençaient par ranger par ordre d’importance tous les aspects négatifs et positifs donnés précédemment.

Dans la condition de « l’imaginaire contrasté », les participantes étaient invitées à élaborer mentalement l’aspect positif d’un « happy end » et deux aspects négatifs de la réalité susceptible d’entraver cet « happy end ».

Dans la condition de « la vie en rose », elles avaient simplement pour instruction d’élaborer mentalement les quatre aspects les plus importants d’un « happy end ». Enfin, dans la condition de « l’expectation non fantasmée », elles avaient pour instruction d’élaborer mentalement les quatre aspects les plus négatifs. L’expérimentateur présentait ensuite à toutes les participantes huit phrases dont quatre suggéraient la formulation d’un plan contrairement aux quatre autres. Les participantes avaient pour instruction de choisir uniquement quatre phrases qui, d’après elles, correspondaient au mieux à la façon dont elles envisageaient leurs problèmes interpersonnels. La variable dépendante était ici le nombre de phrases qui correspondaient à un plan. Enfin, l’expérimentateur demandait aux participantes de répondre à la question suivante : « Dans quelle mesure une fin heureuse à vos problèmes interpersonnelles dépend de circonstances externes ? ».

Les résultats montrent que dans la condition de « l’imaginaire contrasté », les participantes font plus de plans pour résoudre leurs problèmes et prennent plus facilement la responsabilité de résoudre leurs problèmes de relation interpersonnelles mais uniquement quand leur expectation de réussite est élevée. Par contre, dans les deux autres conditions, l’expectation faible ou forte n’a aucun impact sur la mise en place d’un plan ou la prise en main de ces problèmes interpersonnels.

Dans une autre expérience (Oettingen & al., 2001), l’auteur et ses collaborateurs utilisent le même plan expérimental pour étudier la réussite scolaire chez les étudiants. Ils mesurent dans cette étude les expectations de réussite en mathématiques et les étudiants doivent donner quatre aspects positifs liés au fait d’augmenter ses compétences en mathématiques et quatre aspects négatifs susceptibles d’entraver cette amélioration. Par la suite, les étudiants étaient répartis dans les mêmes conditions expérimentales que celles exposées plus haut. Dans la condition de « l’imaginaire contrasté », les participants qui ont un niveau d’expectation élevé font plus d’effort par la suite et obtiennent de meilleures évaluations que tous les autres sujets. Les participants de cette même condition, qui ont un niveau d’expectation faible, font moins d’effort et ont de moins bonnes évaluations par la suite. Là encore, pour les participants dans les deux autres groupes, le niveau d’expectation, qu’il soit fort ou faible, n’a aucun impact sur la réussite scolaire.

Ces différents résultats indiquent donc que les deux aspects de l’acquisition de compétence que sont la désirabilité (importante) et la faisabilité (expectation positive) sont deux pré-requis essentiels dans la perspective de l’émergence d’un engagement fort à exceller selon l‘objectif choisi. Pour créer ce type d’engagement, l’utilisation de « l’imaginaire contrasté » permet de créer le fantasme d’un futur désirable tout en laissant à l’individu la possibilité d’envisager les obstacles, ce qui l’engage d’autant plus fortement qu’il a une expectation de réussite importante.

Représentation intégrée du modèle de la réalisation imaginaire
(d’après Oettingen & Hagenah, 2005)