La théorie motivationnelle de Nuttin (1991) s’inscrit dans le cadre d’une relation continuelle entre l’organisme, qui est considéré comme système ouvert, et l’environnement. Comme tous les organismes, l’être humain cherche en permanence à établir, à maintenir ou à modifier les relations qu’il entretient avec son environnement. Pour Nuttin, il est inutile d’établir une quelconque liste de besoins car tous les objets ne peuvent se comprendre et avoir un sens que dans le cadre d’une relation individu/environnement. Dans ce cadre relationnel, il lui parait établi que l’organisme tend à rechercher un développement optimal et certains objets, que d’autres auteurs identifient à des besoins, lui permettent mieux que d’autres d’atteindre cet optimum.

C’est donc le fonctionnement biologique lui-même qui donne lieu au besoin biologique. De même, le fonctionnement psychologique permet de faire émerger des besoins sans base physiologique, et c’est précisément en cela qu’ils sont qualifiés de besoins psychologiques.
Ce dynamisme abstrait de l’être humain est vu comme un processus dans lequel les besoins, au sens où les entend Nuttin (1991), se transforment en buts qui eux-mêmes n’ont de sens que dans le cadre d’un projet. Dans le cadre de la théorie relationnelle qui porte la motivation, toute activité a donc un but et, dans certains cas, ce but peut être l’activité elle-même dans la relation qu’elle entretient avec l’objet.

« (…) il est utile de distinguer, d’une part, la fonction dynamique générale qui active et dirige le comportement de façon continue et, d’autre part, la constellation motivationnelle concrète qui est responsable de la régulation du comportement à un moment donné. Ainsi, un état motivationnel concret ne se conçoit pas comme un agent de déclenchement d’activité dans un organisme qui, pour le reste, serait au repos, mais comme un agent de régulation du comportement continu, présidant à l’interruption d’une activité, au changement de direction et d’objet-but, réglant l’intensité et la persévérance d’un effort. Un moment d’attente ou de réflexion dans le cours d’une action est motivé au même titre qu’une phase plus active. La fonction de direction et de régulation, qui caractérise chaque motivation, s’inscrit donc à l’intérieur d’une fonction dynamique générale. » (Nuttin, 1991, p. 125).

Il reste cependant que cette orientation fondamentale des relations ou besoins est innée pour Nuttin.

Cette structure moyen/fin dans laquelle s’articule le processus motivationnel s’organise, pour Nuttin, de façon hiérarchique où tout en haut de la hiérarchie s’inscrivent les besoins fondamentaux de l’être humain. Pour lui, une particularité essentielle pour qui veut comprendre le comportement est cette capacité que possède l’être humain de se forger lui-même des buts et de faire des projets qu’il tente ensuite de réaliser. Cependant, à ce niveau, Nuttin ne résume pas le but à sa finalité.

« Lorsqu’un sujet, en état de besoin, éprouve ce besoin sous la forme concrétisée d’un acte précis à exécuter à l’égard de tel objet, la voie qui mène à cet objet est quelque chose de plus qu’une information ou un lien associatif. Elle concrétise le besoin même (…) l’acte en question n’est plus un simple moyen parmi beaucoup d’autres pour atteindre une catégorie d’objets/buts ; il est devenu le besoin même » (Nuttin, 1991, p. 232-233).

La conception motivationnelle de Nuttin en intégrant « moyen » et « but » peut donc être considérée, de ce point de vue, comme une théorie motivationnelle avec une composante volitionnelle. Le but est principalement considéré comme un standard que la personne se forge afin de s’auto-évaluer dans la réalisation de l’activité. Cette question de la construction de ces « standards » est d’ailleurs un autre point central dans le cadre de cette théorie. Pour l’auteur, il existe deux types de standard : les innés et les acquis. Les premiers sont d’origine biologique et sont à ce titre largement déterminés par l’hérédité, alors que les seconds sont des standards psychologiques construits. Les standards innés permettent aux individus de s’adapter et les réponses affectives fournies en termes « agréable » ou « désagréable » donnant l’occasion à l’organisme d’avoir des informations sur la congruence avec le pattern biologique de base. Il est à noter que cette notion de « standard inné » s’applique également aux besoins psychologiques dans la mesure où le comportement de l’individu envers certains objets repose sur cette même base.

Les standards psychologiques permettent à Nuttin d’aller au cœur de sa conception du projet.

« Alors que la température actuelle de la chambre est un fait physique constaté, la température « demandée », le standard introduit, est nous le répétons une construction psychologique, le produit d’une demande ou motivation, un but que le sujet s’est posé. C’est ce but qui est à la base de la discrépance entre la température physique et une autre température qui, elle, n’existe que « dans la tête » de l’homme et dans l’indice instrumental qu’il fabrique pour indiquer la température demandée. Tant que l’homme n’intervient pas avec sa norme, il n’existe aucune discrépance (…). Il est à noter que la discrépance elle-même est le résultat d’une autre activité, à savoir un processus motivationnel. La discrépance comme la fabrication du thermostat dans son ensemble sont des produits de la motivation et d’un processus de formation de but. On se trouve ici en présence d’un malentendu courant : en transposant les phénomènes de comportement en termes cybernétiques ou en programme d’ordinateur, la composante motivationnelle de la conduite se perd en cours de route. C’est que la motivation est étrangère à la machine. Elle intervient, chez l’homme, dans la fabrication et l’agencement du mécanisme, mais, une fois construite, la machine exécute à froid les plans élaborés par son maître motivé (…). L’ordinateur est sans doute un génie d’intelligence associative, mais un handicapé de la motivation » (Nuttin, 1991, p. 244-245).

Cette conception originale permet de comprendre la nature profonde de la notion de projet que développe Nuttin. Pour lui, les besoins peuvent activer des buts comme définis précédemment et des projets qui sont vus comme la construction du

« chemin comportemental, c’est-à-dire la structure moyen/fin ou le plan, par où l’individu motivé cherche à atteindre ou à réaliser l’objet-but » (Nuttin, 1991, p. 255).

Les buts et les projets ont en commun de s’élaborer progressivement au cours de l’action. L’individu commence avec un besoin qui génère une motivation qui cherche à s’incarner dans un moyen/fin devenant un but qui peut faire partie d’un plan plus vaste, autrement dit, d’un projet. Ce projet peut en fonction des réussites et des échecs, des différences observées avec les standards internes, se raffiner et/ou se modifier au cours de l’action.

Représentation intégrée de la théorie de la motivation humaine
(d’après Nuttin, 1991)