Pour Apter (2007), les dimensions psychologiques qui sous-tendent le comportement humain sont basées sur des paires antagonistes susceptibles d’un revirement qu’il explicite dans le cadre de sa théorie. Le croisement et la dynamique du revirement de ces dimensions bipolaires permet d’expliquer à la fois la motivation, les émotions et la personnalité des individus. En ce qui concerne l’émotion, la bipolarité plaisant-déplaisant croisée avec faible-tension/forte-tension permet de comprendre la nature de différentes formes émotionnelles en les classant dans chacun des quadrants créés par le croisement de ces deux états. Par exemple, la relaxation et l’ennui ont en commun d’être des émotions à bas niveau d’excitation cependant elles se différencient sur la dimension hédonique. L’ennui est une expérience déplaisante alors que la relaxation est plaisante. Il en est de même pour l’excitation et l’anxiété. Cependant, ces deux dimensions bipolaires n’expliquent pas, à elles seules, toutes les émotions. Pour cela il est nécessaire de prendre également les autres dimensions que propose la théorie du revirement.

Pour Apter, si la motivation n’est pas à confondre avec l’émotion, ces deux dimensions partagent de nombreux points communs au travers des dimensions bimodales qu’il propose, comme nous allons maintenant l’illustrer au travers de la dimension « telic » (du grec : but) et « paratelic » (sans objectif). Pour lui, le plaisir dans le mode telic vient principalement de la perception de mouvement vers l’objectif, alors que dans le mode paratelic, le plaisir vient essentiellement de l’activité elle-même. Dans la mesure où chaque mode dans ce modèle exclut l’autre, cela implique qu’un individu, qui cherche principalement à atteindre un objectif, ne pourra en même temps prendre autant de plaisir à faire l’activité qui lui permet d’atteindre cet objectif. De même, dans la mesure où le mode telic est orienté vers le futur, il sera plus imperméable aux sensations présentes qui ne sont pas en relation avec cette orientation. Pour Apter (2007), la théorie « réversive » d’un point de vue motivationnel, est fondée sur des bases différentes de celles des théories homéostatiques (Hull, 1943) qui ne connaissent que deux phases (faim ou satiété par exemple) mais aussi des théories de l’optimum de stimulation (Hebb, 1955) qui est basé sur le seul principe de stimulation. La théorie réversive est multi-stable car la motivation de l’individu dépend de la combinaison de tous les modes à un moment donné.

Quatre dimensions bimodales (ou méta-motivationnelles) qui peuvent donc donner lieu à huit états différents, forment ensemble la structure de la personnalité, en voici un détail aussi bref que rapide, des trois autres dimensions.

  • La dimension conformiste/négativiste est sous =-tendue par la question du respect des règles tout comme la dimension telic/paratelic était centrée sur celle des moyens/fin. Dans le mode négativiste, l’individu s’oppose aux règles existantes, résiste à la pression externe, s’affirme en tant qu’individu et affiche sa différence. Au contraire, dans le mode conformiste, l’individu a plaisir à faire comme les autres et à s’abandonner aux pressions externes.
  • Dans la bi-modalité maîtrise/sympathique, la question centrale est celle du rapport à autrui. Lorsque l’individu est dans le mode maîtrise, il cherche la puissance et pour cela il peut être centré sur lui ou sur les autres et dans ce cas il se met à la place des autres. Dans ce mode, les autres ou les objets sont considérés de la même manière, ils permettent d’aboutir à quelque chose. Dans le mode sympathique, par contre, c’est l’interaction avec l’autre qui est au centre de l’attention. Là aussi, l’individu peut expérimenter le mode sympathique soit de façon autocentrée, soit en se mettant à la place de l’autre.
  • Enfin, la dernière dimension bimodale est celle qui oppose autic à alloic. Lorsque l’individu est dans le mode autic, il ne fait attention qu’à lui, alors que dans le stade alloic, il s’oublie lui-même pour ne voir que par l’autre.

Le passage dans un mode ou dans son opposé est lié aux caractéristiques de la situation, certains événements provoquant la frustration sont à même de faire basculer l’individu d’une dimension modale à l’autre. Si les événements de l’environnement provoquent ce basculement, ce dernier peut aussi se produire seul car Apter (2007) estime qu’une dimension qui reste trop longtemps sur un mode provoque un état de satiété. Cependant, bien que ces deux modes opératoires agissent en permanence, les individus exhibent une dominance envers chaque mode des différentes dimensions. Certains individus étant plus souvent en mode télic et sympathique par exemple.

Un des points fort de cette théorie est sa capacité à pouvoir expliquer les changements incessants et imprévisibles du comportement humain. L’individu en passant d’une modalité à l’autre, sur une ou plusieurs dimensions bimodales sera, par là même, motivé par des éléments présents dans le contexte qui peuvent le conduire à revoir totalement toutes ses actions. Par exemple, si l’individu passe d’une modalité telic à une modalité paratelic, sa motivation envers l’activité s’en trouve totalement modifiée et ses actions doivent être interprétées à l’aune de cette modification.

Représentation intégrée de la théorie du renversement
(d’après Apter, 2007)