Jusqu’au début des années 80, pour les modèles motivationnels, la décision de l’individu était au mieux une variable dépendante. Par exemple, le modèle d’Atkinson (1957) permet de déterminer les préférences des individus pour tel ou tel choix dans le cadre des comportements de prises de risque (risk taking behavior). Pour ce modèle comme pour beaucoup d’autres, il n’existe pas de processus spécifique à la prise de décision en dehors des déterminants motivationnels. Atkinson (1957) estime d’ailleurs que l’un des deux enjeux majeurs de la motivation est sa capacité à « rendre compte de la sélection d’une action par l’individu parmi toutes les alternatives possibles » (p. 359, traduction libre).

Les travaux d’Edwards (1954, 1962) plus directement sur la prise de décision semblent indiquer que les modèles computationnels, à l’image de celui qu’Atkinson utilisée en psychologie, reposent sur des postulats de départ relativement similaires à ceux employés par les mathématiques décisionnelles portant là aussi sur les comportements de prise de risque (« risk taking behavior ») mais en économie. Pour Edwards (1954), l’homme économique, celui sur lequel se base toutes les théories de la décision, a trois propriétés : il est totalement informé, il est infiniment sensible et il est rationnel.
De ces trois propriétés, la rationalité est, pour Edwards, la plus cruciale. Elle signifie deux choses. L’individu peut ordonner du plus grand au plus petit (weak ordering) les états qu’il est capable d’obtenir et il fait ses choix de façon à maximiser quelque chose. En fonction de la première règle, si l’homme économique préfère A à B et B à C alors cela implique qu’il préfère A à C, comme le veut la transitivité mathématique. En fonction de la deuxième règle, la chose que l’homme économique cherche à maximiser est l’utilité espérée (Bernoulli, 1738/1971). C’est en cela qu’il est possible de dire que l’homme économique cherche toujours à choisir la meilleure alternative qui se présente à lui.

Une des pierres angulaires de cette conception est donc cette notion d’utilité. C’est précisément à ce niveau que se rejoignent les modèles économiques et psychologiques. Pour Edwards (1954) « chaque objet ou action peuvent être considéré du point de vue de ses propriétés de plaisir ou de douleur. Ces propriétés sont appelées "utilités" de l’objet, le plaisir étant considéré comme une utilité positive et la douleur comme une utilité négative » (p. 382, traduction libre). L’utilité est donc basée sur l’hédonisme qui est une conception philosophique du comportement humain introduit pour Weiner (1992) par le philosophe Jeremy Bentham (1779-1848). Pour Weiner (1992) « un axiome de quasiment toutes les théories de la motivation est que l’organisme cherche à augmenter le plaisir et à diminuer la douleur » (p. 356, traduction libre).

Le concept d’« utilité espérée » introduit par Bernoulli (1738/1971) peut donc presque être considéré, de ce point de vue, comme une théorie de la motivation ; puisqu’il permet de calculer la valeur effective d’un bien pour un individu donné de façon à en inférer la décision qu’il va prendre. La théorie d’Atkinson ne fait pas autre chose, lorsqu’elle cherche à déterminer la tendance au succès qui doit être soustraite de la tendance à l’échec pour obtenir une tendance résultante qui serait à même de pronostiquer la décision d’un individu donné.

Quelle que soit la formule considérée, celle-ci présuppose qu’il existe un certain nombre de facteurs qui seuls ou en combinaison avec d’autres, sont en mesure de déterminer le choix avant que celui-ci ne soit effectif.

À ce niveau le rationalisme de l’homme économique rejoint le déterminisme psychologique. Cependant, l’un comme l’autre posent d’innombrables difficultés qu’il n’est actuellement plus possible d’ignorer et qui ensemble plaident pour l’intégration d’une dimension décisionnelle dans tout modèle motivationnel.
L’une de ces difficultés est liée à la notion de responsabilité ; qui est notamment abordée dans la théorie motivationnelle des émotions de Weiner (2006). Le déterminisme est en effet contradictoire avec le libre arbitre (free will pour les anglo-saxons) qui est une condition indispensable et nécessaire pour juger de la responsabilité d’un individu d’un point vue légal (ce qui rejoint la métaphore de l’« homme comme juge » utilisée par Weiner).

Gomes (2007) permet d’expliciter clairement pourquoi, d’un point de vue déterministe, toute décision est chimérique. « C’est une illusion de penser que ce que la personne veut dépend de sa décision, car même si cela découle effectivement d’une décision particulière, la décision elle-même est déterminée par des événements antérieurs, pas par une décision précédente. Il n’y a rien que la personne puisse faire pour changer le cours des événements, et ceci inclut ses propres actions. En ce qui concerne les actions passées, il est faux de croire qu’une personne aurait pu faire autrement si elle en avait décidé ainsi. Tout ce que la personne fait est déterminé par sa nature ou par les circonstances au moment de l’action, qui ne sont ni l’une ni l’autre déterminées par la personne elle-même en dernière analyse » (Gomes, 2007, p. 222, traduction libre).

Le déterminisme, qui est une conception philosophique sur laquelle s’appuient de nombreuses théories psychologiques de la motivation, ne laisse donc aucune place à l’exercice d’une volonté quelconque. De plus, puisque l’être humain ne peut être à l’origine de son action, on ne peut le considérer comme l’agent de son propre comportement, ce contre quoi Bandura (2009) s’inscrit en faux. En effet, le déterminisme est compatible avec une vision purement computationnelle du comportement humain contre laquelle il s’élève : « Comme nous l’avons déjà affirmé, l’être humain n’est pas simplement l’hôte et le spectateur de mécanismes internes orchestrés par des événements du monde extérieur. Il est l’agent plutôt que le simple exécutant de l’expérience. Les systèmes sensoriels, moteurs et cérébraux constituent les outils auxquels les personnes ont recours pour réaliser les tâches et atteindre les buts qui donnent sens, direction et satisfaction à leur vie » (Bandura, 2009, p. 20).

Cette charge de Bandura contre cette incarnation déterministe du traitement de l’information n’est pas étrangère à celle de Kuhl (1987) sur la nécessité de réintroduire la notion de volonté comme « cause » de l’action humaine. Pour le déterminisme, si l’individu ne peut influer sur le cours des événements, il n’y a pas de raison de s’encombrer d’un concept qui justement explique la nature de cette inflexion. La volonté, dans une abstraction déterministe, contient une contradiction interne (car elle est elle-même déterminée) qui en justifie à elle seule son exclusion. Cette dernière peut être résumée par la question suivante : puisque la volonté est elle-même déterminée, qu’est-ce qui détermine cette volonté ? La proposition d’un homuncule contrôlant le comportement a été avancée par les tenants du déterminisme pour montrer toute l’ineptie de ce principe, comme nous avons pu le voir plus haut (principe d’une régression infinie sur le contrôle d’un homuncule par un autre homuncule). Pour Kuhl (1987), les psychologues de la motivation n’ont fait que fuir ce problème en adoptant une théorie à un niveau qui ne tient compte que de la force de la motivation et de l’expectation de réussite. Pour lui, il est nécessaire maintenant d’avoir une théorie à deux niveaux.

La réintroduction de la volition comme complément indispensable de la motivation marque donc sans aucun doute un tournant considérable dans cette longue histoire qu’entretient le déterministe avec la psychologie de la motivation (Heckhausen, 1986 ; Heckhausen & Heckhausen, 2008 ; Kuhl, 1987).

Les théories volitionnelles au lieu de fuir la prise de décision l’intègrent en tant que variable explicative. Le modèle de l’implémentation des intentions (Gollwitzer, 1999 ; Gollwitzer & Sheera, 2006) montre comment en agissant spécifiquement sur les intentions de l’individu il est, par exemple, possible d’agir significativement sur les décisions individuelles, et ce, en conjonction avec la motivation sous-jacente.
Les problèmes que pose la conception rationnelle de la décision humaine ne sont pas très éloignés de ceux du déterminisme. La principale remise en cause dans ce domaine vient des travaux et modélisations mathématiques proposés par Kahneman & Tversky (1979, 1984 ; Tversky, & Kahneman, 1986, 1991, 1992) qui ont mis en évidence la présence d’inconsistances dans des choix par ailleurs totalement équivalents.

Ces auteurs montrent, à partir d’expériences simples, que les individus présentent une aversion plus forte du risque par rapport à l’attirance qu’ils éprouvent envers les gains potentiels ce qui remet en cause les modèles purement mathématiques qui s’appuyaient jusque là sur l’utilité espérée (Bernoulli, 1738/1971).
Ils vont plus loin car ils démontrent que les quatre règles essentielles, sur lesquelles sont fondées toutes les modélisations mathématiques de la prise de décision (dont la transitivité, que nous avons évoquée plus haut) sont systématiquement mises en défaut par des résultats expérimentaux (Tversky & Kahneman, 1986).
Ils plaident donc pour l’introduction de considérations d’ordre psychologique qui ont à la fois l’avantage et l’inconvénient de rendre plus fiables et infiniment plus complexes les modélisations mathématiques sur la prise de décision.

Émergent donc actuellement des travaux psychologiques qui concernent spécifiquement la prise de décision et qui devront, dans un avenir plus ou moins proche, être intégrés dans ceux de la motivation. Les travaux d’Iyengar & Lepper (2000) ouvrent déjà la voie en soulignant certaines limites théoriques. Ces auteurs montrent, à partir d’une expérience en situation réelle située dans un magasin, que les individus sont davantage attirés par un présentoir qui expose une large gamme de produits, mais qu’ils vont plus facilement acheter dans ceux qui présentent le moins de choix.

Les résultats de Botti & Iyengar (2004) semblent aller à l’encontre de ceux prédits par la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002), puisque ces auteurs montrent que lorsque les alternatives sont toutes jugées décevantes, les individus qui choisissent jugent leur choix significativement moins satisfaisant que ceux qui n’ont pas eu de choix à faire. Le choix n’a donc pas toujours comme impact d’augmenter la motivation de l’individu comme le sous-entend la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2002). Cependant, si le besoin est défini en termes de satisfaction (comme nous avons pu le voir plus haut), un choix qui n’apporte aucune satisfaction ne peut renforcer les besoins primaires. Il est donc cohérent, dans le cadre théorique qu’ont proposé Deci & Ryan en 2002, qu’un choix qui ne procure aucune satisfaction, ne favorise ni l’intérêt, ni le plaisir, ni plus généralement la motivation intrinsèque.

Représentation intégrée de la prise de décision