De nombreuses théories modernes ont recours au concept de « besoin ». Ce dernier est d’une redoutable simplicité. En effet, contrairement à beaucoup de concepts psychologiques, le besoin repose sur une idée principale qui est facilement compréhensible des spécialistes comme des non-spécialistes de la question : le manque. Le Trésor de la langue française (2008) définit le besoin de la façon suivante : situation de manque ou prise de conscience d’un manque. Cet état de manque est si perceptible, en ce qui concerne la faim ou la soif par exemple, qu’il en est presque tangible. La chronicité de ces deux états permet facilement d’instaurer un état de manque et c’est grâce à cette dynamique que les recherches sur le conditionnement ont pu rapidement avancer.
Il importe de rappeler que ce n’est que dans un second temps, bien après que les principes du conditionnement ont été avancés, que Hull (1943) a proposé une théorie explicative de ce dynamisme interne qu’il a nommé « drive ». Ce dernier s’appuie sur une vision homéostatique du fonctionnement physiologique pour lequel tout déficit dans les tissus organiques déclenche des mécanismes dont l’objectif est le retour à l’équilibre (Cannon, 1939). Hull (1943) a donc attribué à cette sensation de manque, que nous ressentons tous quotidiennement, une justification physiologique. Les travaux de Maslow (1943) s’appuient également sur cette notion de « manque » mais en la cantonnant au physiologique pour en proposer une extension qui s’appuie cette fois sur la satisfaction ; notion qui se retrouve encore actuellement dans différentes théories de la motivation (Deci & Ryan, 2002 ou Alderfer, 1972, par exemple). Comme le dit Maslow (1943), « (…) la satisfaction devient un concept plus important que celui de carence pour expliquer théoriquement la motivation, une fois que l’organisme est délivré de la domination plus ou moins relative du besoin physiologique, cela permet l’émergence d’autres objectifs plus ou moins sociaux » (p. 375, traduction libre).
Cette distinction entre deux grandes formes de besoins est également présente chez Pittman & Zeigler (2007). Ils insistent sur le sens vital du manque présent dans la notion de carence physiologique.
Ils estiment que « certains besoins sont clairement requis, nécessaires et, sans eux, l’organisme cesserait à plus ou moins brève échéance tout simplement d’exister (…) les relations sexuelles cependant, bien que nécessaires à l’existence d’une espèce, sont des besoins dans le sens où elles sont fortement désirées et ont des bases biologiquement claires mais elles ne sont pas nécessaires à la survie de l’individu dans le même sens que peuvent l’être la nourriture, l’eau ou l’air (…) quand les théoriciens en psychologie sociale parlent des besoins humains basiques, ils ne mentionnent généralement pas le déficit organique mais plutôt le contrôle, la compréhension ou encore l’estime de soi. On peut se demander ce qui se cache actuellement derrière l’utilisation du terme de "besoin". Une possibilité est de considérer que des besoins basiques sont indispensables pour continuer d’exister ; le tout étant d’apprécier correctement l’échelle temporelle de cette possibilité, dont la mesure peut être estimée en termes d’année, de décade, d’heure ou de minute en fonction du besoin considéré. » (p. 475, traduction libre). Pour ces auteurs, le besoin de relation sociale est particulièrement important au début de l’existence car ce sont les autres qui nous permettent de survivre. Nombreux sont ceux qui estiment qu’il existe, à côté des besoins physiologiques, des besoins psychologiques qui sont tout aussi indispensables à la survie et au développement de l’individu (Nuttin, 1991 ; Deci & Ryan, 2000 ; Krapp, 2005). Deci & Ryan (2000) rejoignent clairement cette distinction en estimant qu’il existe « deux traditions intellectuelles très différentes dans l’emploi que fait la psychologie empirique du concept de besoin (…). » (p. 228). Pour ces auteurs, la première tradition remonte à Hull (1943) avec sa conception des besoins physiologiques de base qui reposent sur le déficit des tissus non-nerveux. La deuxième trouve ses racines dans les travaux de Murray (1938) sur les besoins psychogéniques.
À l’heure actuelle, cependant, la définition du besoin reste clairement associée au manque et semble renvoyer davantage à sa une vision plus physiologique que psychologique. Paradoxalement, depuis le milieu de XXe siècle, les recherches scientifiques ont permis d’établir que l’homéostasie ne peut expliquer la faim ou la soif (cf. Berridge, 2004 pour une revue). Ces recherches mettent également en évidence le fait qu’il soit possible de dissocier la sensation de faim des impératifs physiologiques liés au manque (ce qui est particulièrement patent dans l’anorexie). Différentes références théoriques estiment à ce titre que le manque n’est pas le mécanisme central qui permet d’expliquer des besoins pourtant simples comme la faim ou la soif (Rolls, 2005 ; Berridge, 2004). D’ailleurs, différents auteurs d’ouvrages ou d’articles de synthèse sur cette question, d’un point de vue physiologique et neurologique (Rolls, 2005 ; Berridge, 2004 ; Gorman, 2004), ne parlent pas de besoin pour qualifier le dynamisme des états de faim ou de soif mais de… motivation !
Actuellement le concept de « besoin » se trouve dans une situation paradoxale. Alors que sa définition repose sur une base physiologique, les spécialistes du domaine lui préfèrent le terme de « motivation » et ceux qui l’utilisent encore, les psychologues de la motivation, lui confèrent un sens qui s’est considérablement éloigné de cette notion de « carence » qui, en dernière analyse, se justifiait par la physiologie.
Ce paradoxe est lié au fait que si les théories psychologiques parlent encore de besoins physiologiques, ces derniers restent relégués au second plan. L’ambition de nombreuses théories motivationnelles réside dans la volonté d’améliorer la compréhension de la motivation au travers de la satisfaction de besoins psychologiques.
À ce niveau, les recherches issues de la psychologie sociale ont été particulièrement importantes. Meyers (2009) relate de nombreux travaux sur la cognition motivée qui montrent à quel point la compréhension de certains besoins psychologiques est devenue centrale dans le traitement social de l’information.
Représentation intégrée des motifs primaires