La théorie des motivations sociales primordiales (core sociale motives theory ; Stevens & Fiske, 1995 ; Fiske, 2000) s’inscrit dans la perspective de la cognition sociale. Elle s’intéresse particulièrement à la façon dont les individus se « pensent » eux-mêmes et voient les autres (Fiske & Taylor, 1991). En analysant les différents temps forts de la cognition sociale, Operario & Fiske (1999) montrent que trois perspectives se sont succédées.
La première conception a été celle du scientifique naïf qui formule et teste des hypothèses naïves sur le monde social qui l’entoure. La deuxième conception, celle de la misère cognitive, a été avancée quand les faits expérimentaux ont montré qu’au lieu de penser prudemment et en profondeur, les individus utilisent des raccourcis cognitifs (schéma, scripts, stéréotypes par exemple) pour forger leurs opinions. Grâce à ces raccourcis mentaux, les personnes préservent leurs ressources mentales et peuvent ainsi plus rapidement émettre des jugements. Le thème de la misère cognitive permet de dresser le portrait d’une personne remarquablement adaptée à son environnement social qui sacrifie la précision de ses jugements pour les rendre efficients, dotés d’une architecture mentale constitutionnellement biaisée.
La dernière perspective, sur laquelle est basé le cœur de la motivation sociale, fait état d’un tacticien motivé. Cette approche a la particularité de contenir les deux précédentes au travers d’une troisième perspective. L’individu est vu comme un penseur pleinement engagé qui peut déployer de multiples stratégies disponibles en fonction d’un choix basé sur des buts, des motivations et des besoins. Dans cette perspective, les individus peuvent dans certaines situations traiter l’information de manière systématique et donc à la manière d’un scientifique naïf et, dans d’autres, de manière moins parcimonieuse en termes d’économie cognitive, mais toujours en gardant à l’esprit de satisfaire leurs motivations. Dans cette perspective, les systèmes dualistes dont la théorie cognitive-expérientielle (Epstein, 1991) n’est qu’un exemple, s’inscrivent parfaitement dans cette logique. Le premier de ces sous-systèmes est généralement caractérisé par un traitement automatique, spontané et peu coûteux, tandis que le deuxième est plus contrôlé, délibératif et consommateur de ressources. Les individus ont, en général, tendance à utiliser plus souvent le premier système car il utilise moins de ressources cognitives que le deuxième. Cependant, quand les individus sont motivés à penser de manière plus appliquée, ils utilisent alors le deuxième sous système, qui est beaucoup plus gourmand en ressources cognitives. Les modèles dualistes réconcilient la tension qui existe entre le scientifique naïf et l’approche de la misère cognitive en suggérant que les motivations et les buts ont pour fonction d’orienter vers l’une ou l’autre de ces tendances.
La théorie des motivations sociales primordiales s’inscrit dans la perspective du tacticien motivé. Elle a pour but de donner aux théoriciens de la cognition sociale les principales clefs motivationnelles. Après une revue de lecture centrée sur les principales perspectives traitant de la personnalité et de la psychologie sociale, Stevens & Fiske (1995) ont repéré cinq motivations primordiales. Il est possible de les concevoir comme des besoins psychologiques de base dans le cadre du modèle intégratif.
1. Relation sociale - Dans le cadre de la théorie des motivations sociales primordiales, le besoin de relation sociale est au cœur de tous les autres. En effet, pour la perspective cognitive sociale qui sous-tend ce modèle, tous les besoins sont au service des relations sociales et ont pour fonction de faciliter ou de rendre possible le fonctionnement effectif des groupes sociaux. Ce besoin est d’autant plus primordial que, sans lui, l’être humain ne pourrait survivre. Les individus chez qui ce besoin est particulièrement activé vont percevoir autrui de façon plus précise, de manière à prévoir le comportement des personnes les plus significatives ; dans certaines circonstances ils vont percevoir les autres plus favorablement et ainsi, faciliter les interactions intra-groupes.
2. Compréhension - Il s’agit pour l’individu de comprendre le monde afin de le rendre plus prédictible, et donc potentiellement contrôlable.
3. Contrôle - Les individus en quête de contrôle sont motivés et orientés vers une préservation du sens de l’efficacité alors que les individus qui perdent le contrôle sont motivés à augmenter leur sens de l’efficacité.
4. Confiance - Les individus auraient pour besoin fondamental de croire en un monde bienveillant et d’avoir confiance dans l’environnement et donc dans les individus qui le composent. Les être humains seraient donc motivés à apaiser l’inconfort et l’anxiété à concevoir autrui comme dangereux et méchant.
5. Maintien du self - De nombreux théoriciens s’accordent pour dire que les individus sont motivés à maintenir une certaine satisfaction d’eux-mêmes.